L'épopée Norvégienne : des lacs d'altitude aux profondeurs des fjords
|
|
Temps de lecture 13 min
|
|
Temps de lecture 13 min
Il est déjà 23h à l’aéroport désert de Trondheim quand nous regardons passer, les yeux pleins d’espoir, le tapis roulant à bagage, complètement vide… Nous passerons donc la première nuit de notre voyage épique en Norvège au seul hotel de l'aéroport, le Radisson Blue. Nos cannes, nos tentes, et l’ensemble de notre matos n’arriveront que le lendemain matin. Le sac de Baptiste, lui, restera à Amsterdam, tant pis pour la pêche à la mouche.
Sans se laisser abattre nous prenons la route direction le Femundsmarka National Park, une terre sauvage à l’est près de la frontière Suèdoise, traversée par tout un réseau de lac et de rivières, sur le papier, tous plus poissonneux les uns que les autres.
Nous débutons notre marche vers 18h avec comme objectif de rejoindre un des nombreux refuges non gardés du parc à environ 4 kilomètres de notre point de départ. La cabane est bien là, au milieu des bois. 5 lits, un poêle à bois, une scie, une hache, le paradis.
Un chien aboie au loin dans les bois alors que nous commençons à nous dire qu'il est temps d’aller chercher du poisson pour le diner. Pierre et moi remontons une petite rivière à truite tandis que Côme, Baptiste et Lucas poursuivent le long du lac en quête des premiers brochets Norvégiens.
Les aboiements du chien se font de plus en plus insistants alors que nous approchons avec Pierre d’un petit lac d’où découle la rivière. Face à nous, embourbé dans le marais jusqu’aux cuisses, tremblante de froid et de peur, une jeune renne fait face à un gros chien qui ressemble terriblement à un loup.
- On va quand même pas la laisser se faire bouffer !
On fonce sur le chien pour l’effrayer en s’enfonçant jusqu’aux genoux dans ces fameux « Swamps » (marécages, en anglais) qui nous suivront toute la semaine. Pierre s’occupe de faire fuir le chien pendant que je m’approche de la bête qui roule de grands yeux affolés. Après de gros efforts j’arrive à la sortir peu à peu du bourbier de vase gelée. On confectionne un brancard de fortune pour la porter sur un sol sec, la pauvre n’arrive même plus à se mettre sur ses pattes. On l’allonge doucement sur la mousse et on démarre un petit feu pour la réchauffer.
- Je vais chercher la couverture de survie, bouge pas : me dit Pierre.
Notre amie commence à reprendre du poil de la bête et après une heure sous la couverture au coin du feu la voilà qui se lève pour rejoindre les bois. Ce soir-là on nous n'aurons pas pêché grand-chose mais nous aurons quand même sauvé un renne, de quoi consoler un ventre vide !
Le lendemain, frustrés de la pêche de la veille, nous sommes remontés comme des coucous, prêts à en découdre. Nous marchons une grosse partie de la matinée pour atteindre une cabane, hors des sentier, au fin fond du parc, au bord d’un magnifique lac. Sur le chemin, plusieurs troupes de rennes très curieuses nous observent à travers les arbres.
Après un déjeuner rapide nous rejoignons la rivière que nous avions longé pendant des heures. De pool en pool, de rocher en rocher, Nous cavalons le long du court d’eau pendant des heures.
Le moindre spot est passé au peigne fin, et ça paye !
Côme nous fait un superbe brochet dans un bras mort et Lucas et moi sortons deux gros ombres, de quoi faire un diner superbe de retour au camp.
A la cabane, un allemand et sa fille nous ont rejoint, très étonnés de voir 5 frelons sortir des bois, gilets à poche et bob commando vissés sur la tête, des fishs sous le bras !
Le brochet et les ombres en papillote sont délicieux et nous partageons notre repas avec ce vieux briscard qui nous sort une bouteille de Jaggermeister pour fêter ça.
Le lendemain, changement de programme, la pêche dans le parc est finalement beaucoup plus compliquée que prévu et nous décidons de tenter autre chose. Nous faisons tout le chemin inverse d’une traite pour rejoindre la voiture après une vingtaine de kilomètres à travers les bois et les marais. Les rennes, si nombreux dans ce parc nous accompagnent tout le long.
Nous décidons de viser deux lacs d’altitude sur les hauts plateaux à 1H30 de route qui selon les infos recueillies semblent regorger de belles truites. Le lac est effectivement magnifique, une cabane non gardée nous attend encore et une petite barque est accrochée au ponton en contrebas. Pas un chat à l’horizon, nous sommes seuls sur ces terres désolées.
Malheureusement un peu trop seuls et en 3h de pêche seulement 3 petites truites et un brochet moyen viendront taquiner nos cuillères. Les paysages en Norvège sont définitivement splendides mais le poisson se fait rare… pour l'instant.
Il est temps de viser plus près de la côte, les lacs et petits cours d’eau c’est pas trop notre truc. Le lendemain nous partons donc en direction de la Driva River, connue en Norvège pour ses saumons et truite de mer. Nous avions repéré une petite cabane dans les bois idéale pour le soir mais en attendant il est temps d’aller à la pêche. Nous nous arrêtons sur la partie haute de la rivière, la partie la plus sauvage et déserte.
Il faut descendre sur les flancs presque à pic des gorges pour s’approcher des eaux cristallines et des pools et avoir l’espoir de lancer sa cuillère. Pêcher un tel court d’eau est assez exceptionnel et s’apparente parfois à de l’escalade, heureusement le sol est jonché d’une mousse très épaisse qui nous empêche de nous blesser malgré nos pas mal assurés. Les poissons sont bien là, de magnifiques truites Fario qui n’ont sans doute jamais vu le moindre leurre se jettent sur nos cuillères.
Durant 3h nous descendons cette rivière, sautons de rochers en rochers en agrippant les arbres et lichens qui nous donnent un semblant d’équilibre et c’est complètement trempé, au bout du rouleau mais triomphant que nous rentrons le soir à notre cabane au bord de la Driva, le repas du soir dans la besace.
Un énorme saumon nous saluera même d’un coup de queue dantesque au moment de l’apéro sur la terrasse, juste magique…
Le mauvais temps s’invite à la fête, il aura plu averse durant toute la nuit, le vent s’est levé et la rivière n’est plus aussi enchanteresse. Nous décidons tout de même de retourner dans les gorges, plus en amont mais cette fois pour remonter la rivière. Le terrain est tout aussi escarpé mais au moins sous les falaises, nous sommes à l’abri du vent. Le cours rapide s’ouvre soudain sur une étendue d’eau calme et profonde au pied d’énormes blocs de rocher noirs. Au sommet de la paroi abrupte de la rive d’en face, un Norvégien un peu timbré ou tout simplement génial, a installé au milieu des bois une petite cabane avec deux fauteuils club, face à la rivière, à un pas du vide. L’eldorado du contemplatif… C’est d’ailleurs dans ce trou d’eau que nous ferons nos plus belles truites de la matinée.
L’après midi nous rapproche de plus en plus des fjords et de la côte, et nous prenons notre premier ferry aux abords d’Afarnes. Avant de rejoindre définitivement l’Atlantique Road nous atteignons une cabane dans les hauteurs au bord d’un lac niché entre les monolithes de granit vertigineux qui dominent la région. La brume tombe peu à peu sur le lac qui devient presque fantomatique à notre arrivée. 1h que nous marchons dans les swamps, les pieds trempées et gelés, et nous ne pensons qu’à une chose, le poêle à bois de la cabane.
Les dieux scandinaves semblent cléments ce jour-là car ils ont déposé devant notre porte 2 magnifiques cèpes qui iront rejoindre les deux premiers cueillis le long de la Driva River. Un vrai repas de fête nous attend ce soir.
Pierre aux fourneaux nous régale de sa spécialité, la truite sautée et son risotto de cèpes. Royal au bar, nous nous autorisons même un petit grog de rhum avant d’aller dormir…
Nous quittons les zones marécageuses au petit matin, Côme décide même d’y aller pieds nus, comme un élan, pour tenter une énième fois de faire sécher ses chaussures. Sur le trajet pour rejoindre l’Atlantique Road nous ne pouvons pas nous empêcher de nous arrêter au magasin de pêche de Kristiansund. Nous avons envie de faire valider notre matos de pêche en mer auprès des locaux et pourquoi pas craquer sur quelques bijoux.
Très vite la conversation tourne autour du flétan. Nous nous rendons vite compte qu’il va falloir s’armer beaucoup plus gros, beaucoup plus lourd et beaucoup plus costaud que prévu.
Démonstration de ferrage par notre ami Yorksen derrière son desk :
- « First bite, you let go, give him some line, and then give all your power! All you’ve got, and just hang on !”
Pierre le regarde avec des lumières dans les yeux et des fourmis dans les jambes...
Mais avant de s’attaquer au graal norvégien nous passons la journée sur la fameuse Atlantique Road, une route absolument magnifique où nous serpentons d’île en île. Sous les ponts, d’énormes morues tourbillonnent sous les bancs de petits lieux noirs et maquereaux. Deux minutes plus tard, Lucas et Baptiste ont déjà monté leur jig et enchainent les maquereaux. Ce midi ce sera sashimi sauce soja sur les rochers ! Sûrement habituée à la présence humaine sur cette route, les morues resterons bec fermé.
Nous rejoignons en fin de journée le petit hameau de Nothaugen. Ce camping dédié aux pêcheurs est niché au fond d’une baie tournée vers le large. Un petit ponton s’étend devant un hangar à découpe où les pêcheurs lèvent déjà les filets des poissons du jour. Nous regardons passer sous notre nez des têtes de merlus énormes, de belles morues et d’autres poissons que nous avons du mal à identifier. Apparemment la pêche a été bonne.
Erik, le moussaillon qui tient le fishing camp nous laisse les clés d’un bateau en aluminium tout équipé et nous offre même un petit coin d’herbe pour y poser la tente. Nous décidons d’aller explorer le coin à pied et d’aller pêcher le diner sur les rochers un peu plus loin. Le soleil se couche lentement et nous offre un spectacle fantastique pendant que je pêche ma première morue du bord. Elle finira en papillote à même le feu que Lucas et Côme nous ont lancé entre deux rochers. Il est temps d’aller se coucher, demain est un autre jour.
Réveille toi il est déjà 6h ! Le soleil est déjà debout depuis une heure, on sort de nos tentes comme des lapins de leur terrier, la mine enfarinée. En jetant un coup d’œil au ponton, au bateau, aux cannes, et à la mer d’huile qui nous attend, nous reprenons très vite du poil de la bête. Un café, une barre chocolatée et on embarque pour le grand large !
Je suis scotché sur mes cartes marines, il est difficile de choisir les spots tant les fonds marins paraissent déchiquetés. Sur plus d’une dizaine de mille nautiques, les plateaux, tombants et aplombs rocheux s’enchainent entre des profondeurs allant de 10 à 150 m.
On reconnait finalement les mêmes escarpements rocheux des falaises longeant les fjords mais sous la surface.
Nous choisissons un premier plateau assez proche d’une large zone d’élevage piscicole qui ne sera pas très fructueuse, quelques touches, quelques maquereaux mais rien de grandiose. En tout cas nos leurres sont magnifiques dans ces eaux aussi claires.
Une passe de 90 m entre deux affleurements rocheux semble plus prometteuse, là où un petit courant s’est formé. Sur la première dérive, grosse secousse pour Lucas et deux minutes après c’est Baptiste et moi qui sommes pendus. 3 gros lieus jaunes entre 2 et 4 kilos montent au bateau, c’est déjà l’euphorie.
Le lieu, nous connaissons plutôt bien sur nos côtes charentaises, ce n’est pas vraiment ce qu’on est venu chercher en Norvège, alors nous changeons assez vite de coin. Pendant toute la matinée nous enchainons plusieurs spots où l’on fera quelques morues et lieux noirs mais rien de bien gros. Nous décidons alors de passer la faille des 200 m de fond qui longe la côte pour aller explorer les petites îles qui borde le parc de Sor-Smola.
Dès la première dérive, mon leurre se fait stopper à la première animation, Baptiste pareil ! Nous avons enfin trouvé les morues ! Des poissons entre 3 et 5 kilos s’enchainent sur ce plateau en pente douce. Côme ferrera le premier poisson sérieux du séjour avec un Eglefin monstrueux de plus de 6 kilos! Presque un record en Norvège! Pierre, quant à lui, broie du noir, le roi du maquereau est beaucoup moins chanceux sur ses dérives…
J’aperçois dans la boite de Lucas un genre d’énorme Madaï japonais, tête plombée blanche de 400 grammes avec une jupe de poulpe jaune et blanche. Je pique deux steaks de maquereaux sur les deux gros hameçons du leurre et fait descendre le tout par 30 mètres de fond. 30 secondes après, ferrage ! La première Lingue du séjour fait son apparition sur le bateau. Sur la dérive suivante encore une belle touche et c’est cette fois une grosse morue qui s’est laissée tentée.
Nous arrivons en fin de dérive, quand je prends une touche très légère au MadaÏ, je lui rends la ligne avant de faire un ferrage très sec. Boom, pendant 2 secondes c’est lourd, ca ne bouge pas et puis ca file, le frein chante, la canne grince, c’est costaud et ca ne ressemble à rien de connu ! Le combat s’enchaine avec de gros coups de têtes et des rushs très violents et la masse sombre et large du légendaire flétan apparait sous le bateau. Petit pour l’espèce, celui-ci accuse 7,5 kilos sur la balance, un juvénile qui nous comble tout de même de joie.
20 minutes plus tard, une grosse raie se laissera également tenter par les darnes de maquereau fraiches. Au total près d’une cinquantaine de kilos de poissons ont dû être remontés au bateau avec 9 espèces différentes, une journée fantastique sur une mer d’huile sous un grand soleil. Nous rentrons en fin de journée avec les quelques poissons nécessaires pour diner, rincés, la banane jusqu’aux oreilles.
Au camp, les gars n’avaient pas pris de flétan depuis 2 mois, et l’un des Allemands, habitué depuis 10 ans à venir pêcher ces eaux n’en avait même jamais sorti un. Nous partageons donc un filet avec lui autour du barbeuc, à nous raconter de belles histoires de pêche avant d’aller dormir…
Le lendemain, je me lève avant tout le monde pour jeter ma cuillère au bout du ponton et faire du maquereau pour la journée.
Nous partons vers 6h30 pour une nouvelle journée de pêche en quête des monstres norvégiens. La matinée est difficile, il n’y pas le moindre souffle d’air donc on dérive très peu. Nous nous cassons les bras à pêcher dans 140m de fond et décidons donc de retourner sur le spot miraculeux de la veille. Pierre insiste cette fois avec le Madaï qui avait si bien marché la veille.
Nous prenons quelques belles morues lorsque Pierre nous lance son plus beau « J’ai !! » du séjour. C’est très lourd. Il tient certainement là le plus gros poisson de la journée.
Après 5 minutes de combat acharné, c’est une grosse morue de plus de 10 kilos qu’on aperçoit sous le bateau. Pierre, pour qui la pêche était compliquée depuis deux jours nous sort ce monstre au nez et à la barbe de Côme qui s’acharne sur une énième Lingue.
Dans la foulée c’est Baptiste qui ferre le deuxième flétan du séjour au leurre souple, un superbe coup de ligne. Puis Pierre passe 20 minutes plus tard à 2 doigts de remonter le troisième.
Il est 19h, nous décidons la mort dans l’âme de dire adieu à ce coin de paradis avec un dernière dérive. Je mets cette fois un énorme leurre souple de 40 cm, en repensant aux mots de Yorksen « think bigger »…
Au moment où j’allais abandonner, je prends un stop énorme dans la canne. Au ferrage, j’ai l’impression d’avoir accroché le fond.
Un quart de seconde plus tard, un rush monumental commence à me vider tout le moulinet.
« Démarre le bateau il faut le suivre !! »
J’arrive à reprendre quelques mètres mais qu’est-ce que c’est lourd !! Chaque coup de tête de ce poisson m’arrache les bras, la canne n’est clairement pas faite pour encaisser de telles secousses et le moulinet encore moins. Cette fois c’est sûr c’est un flétan, un gros et avec un matos comme ça, ça s’annonce mal…
Après quelques minutes de calme le voilà qui repart de plus belle et c’est malheureusement la fois de trop… La tresse casse avec un claquement sec, je me prends la tête dans les mains, je n’ose pas y croire… Le poisson d’une vie.
Il est malheureusement déjà l’heure de rentrer, de plier les gaules. Nous jetons un dernier regard vers ces étendues si sauvages, un banc de petites baleines viennent même nous dire au revoir alors que la lumière baisse déjà sur les falaises vertigineuses de la baie de Nothaugen. Nous dégustons un dernier filet de lieu noir au barbecue sur le ponton sans pouvoir quitter des yeux la mer, toujours aussi calme. Le lendemain, ce sera la voiture, l’aéroport et le retour à la civilisation…
De nouvelles aventures en terres scandinaves se dessinent déjà dans nos tête de forcenés, ce n'est qu'un au revoir...